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Onze ans après les tensions et drames qui ont jalonné la troisième candidature d’Abdoulaye Wade, la question du troisième mandat se pose encore au Sénégal. L’article 27 retouché lors de la révision constitutionnelle de 2016 soulève encore polémique. Plongée dans l’histoire tumultueuse de cette disposition constitutionnelle en Afrique et au Sénégal. 

Les manifestations aussi bien à la place de la nation (ex Obélisque) qu’à la place de l’indépendance, tout comme dans les autres régions du pays, ne faiblissent plus. Malgré plus d’une dizaine de morts, le peuple sénégalais a investi les rues pour barrer la route à la candidature « de trop » du président Abdoulaye Wade…11 ans après l’histoire est sur le point de bégayer alors que celui qui est actuellement au pouvoir avait donné toutes les gages pour faire de cette séquence douloureuse de l’histoire politique du Sénégal une page sombre à fermer définitivement. Il en avait fait le serment et l’avait réitéré à plusieurs reprises avant d’en faire une loi.

N’empêche, ses actes et les propos contradictoires soulevés par d’éminents dignitaires de son camp font craindre le pire. Les démons de la division et de l’instabilité rodent et risquent de se rameuter d’ici peu si le président Macky Sall venait à matérialiser la volonté qu’on lui prête, à tort ou à raison, de briguer à nouveau et pour la troisième fois, la magistrature suprême. Les défenseurs de cette candidature se sont engouffrés dans les ‘’failles’’ rédactionnelles du fameux article 27 de la constitution pour lui trouver une certaine caution juridique, à travers un dangereux glissement sémantique.

Source de tous les conflits politiques, notamment en Afrique, les dispositions ayant trait à la durée du mandat présidentiel et de la limitation de son renouvellement, évoqué dans l’article 27 de la constitution du Sénégal, ont toujours été brodées avec du fil de ruse et une aiguille de supercherie politique. Ceci pour donner au président en exercice un manteau constitutionnel sur mesure. Une pratique ancrée en Afrique en général et au Sénégal en particulier, depuis plusieurs décennies. La problématique de la limitation des mandats présidentiels demeure entière, même si elle a été instaurée pour la première fois au Sénégal il y a 52 ans et 32 ans dans les autres pays africains (alors qu’en France la limitation n’a été formalisée que depuis 2008 et le 21 mars 1947 aux Etats-Unis à travers le 22e amendement sous Harry Truman).

Une limitation des mandats anesthésiée partout en Afrique

Depuis 1970, le seul article qui suscite controverse parmi les 103 que compte la constitution sénégalaise, c’est bien l’article 27 qui se construit et se déconstruit selon les volontés du président en exercice. Ce dernier le contorsionne à souhait pour durer au pouvoir. Au Sénégal, pourtant précurseur de cette disposition limitant le nombre de mandat, tout comme dans les autres Etats africains, cette limitation est « anesthésiée ». C’est la conviction du Dr en droit, Yaya Niang. Livrant son avis sur la question du mandat lors du symposium organisé par le parti Awalé de Abdourahmane Diouf, vendredi dernier, 30 décembre 2022, l’enseignant-chercheur est revenu en long et en large sur l’historique rocambolesque de cette limitation en Afrique.

« Le mandat est limité partout en Afrique depuis 1990. Au Sénégal, c’est depuis 1970. Au lendemain des transitions démocratiques, on a organisé partout en Afrique, à l’exception du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Mali, des conférences nationales. Ce qui a sous-tendu la tenue de ces conférences c’est que l’Afrique a vécu des crises liées à l’exercice du pouvoir.  C’est au sortir de ces assises que partout en Afrique on a limité les mandats en 1990 », soutient-il.

Mais ironie du sort, 30 ans après, l’histoire a montré que cette limitation est rarement appliquée. « Oumar Bongo au Gabon, 40 ans de pouvoir, remplacé par son fils à sa mort en 2009. Au Togo, Gnassingbé Eyadema, 38 ans au pouvoir, est remplacé par son fils depuis sa mort en 2005. Idriss Déby au Tchad, 31 ans au pouvoir, remplacé par son fils à sa mort en 2021. Denis Sassou-Nguesso, Congo, 25 ans au pouvoir. Paul Biya, 40 au pouvoir », liste le docteur en droit. Une entorse à l’esprit de la limitation qui était de faire en sorte qu’un président ne fasse pas plus de 14 ans au pouvoir et d’assurer la rotation, c’est-à-dire une alternance à la tête du pouvoir.

« La magie constitutionnelle » pour s’éterniser au pouvoir

Pour s’éterniser au pouvoir avec un semblant de caution juridique, il faut bien une magie. Il s’agit d’utiliser des tours de passe-passe constitutionnels pour faire dire à la loi tout et son contraire. Le Dr Yaya Niang a identifié trois techniques qu’utilisent habituellement les chefs d’Etats africains pour rester au pouvoir par un semblant de légalité. « La première technique c’est l’abrogation. A chaque fois que la limitation apparaît comme un obstacle à la candidature du président en exercice, il abroge la constitution en adoptant une nouvelle. On parle d’une nouvelle République : le passé est oublié, le compteur remis à zéro. C’est ce que Alpha Condé a fait en 2020. C’est ce que Ouattara a fait en 2016 », souligne-t-il.

La deuxième technique consiste à supprimer la disposition qui limite les mandats. C’est cette technique que Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf Diouf ont utilisé de 1970 en 2001 : « On instaure la limitation le 26 février 1970. On la supprime en 1976. On restaure en 1991. On la supprime encore en 1998. On restaure en 2001. C’est un enchaînement de restaurations et suppressions ». La troisième technique, selon Niang, est celle qui consiste « au courant de l’exercice de son mandat, de modifier la durée du mandat seulement pour semer la confusion sur le décompte du nombre. Tout porte à croire que c’est cette dernière technique que le président en exercice veut utiliser ».

Probable 3e mandat de Macky Sall, deux thèses s’affrontent

Si certains juristes-constitutionnalistes estiment que la question du mandat telle qu’elle se pose actuellement au Sénégal ne mérite même débat car étant claire et limpide, d’autres estiment qu’elle n’est pas aussi simple. D’une approche arithmétique, le débat est tranché vu qu’un mandat plus un autre mandat font deux. Mais du point de vue juridique, la démonstration fait naître deux thèses antagonistes. Celle qui milite en faveur d’une possibilité légale pour le président Macky Sall de briguer un autre mandat et celle qui l’écarte de fait. Et force est de constater que les défenseurs de ses deux thèses ne manquent pas d’arguments.

Adhérant pour une interprétation en faveur de la recevabilité d’une candidature du président Macky Sall en 2024, Dr Abdoulaye Guissé, enseignant-chercheur en droit à l’université Gaston Berger à Saint-Louis a cueilli à froid l’assistance en soutenant la thèse de la recevabilité. Selon lui, elle s’avère plus probante et qu’elle est, par conséquent, « juridiquement fondée ».

« A la lecture de l’article 27 de la constitution, il est possible de soutenir, à prime abord, la thèse de l’irrecevabilité de la candidature du président Sall après deux mandats consécutifs. Cet article dispose : la durée du mandat du président de la République est de 5 ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Il s’agit là de dispositions simples dans leur lettres et dans leur esprit dont l’application pourrait exclure toute possibilité d’une candidature supplémentaire du président en fonction », analyse-t-il d’emblée.

Cependant, ajoute-t-il, « l’absence de disposition transitoire intégrant le premier mandat dans le décompte et sa durée qui est de 7 ans, fragilise le fondement des arguments de l’irrecevabilité ». En effet, selon lui, si le principe de la limitation est clairement posé, tant dans la durée que dans le nombre, « il vaut sans équivoque pour les prochains présidents ». Il s’explique : « il est clair que le problème du mandat est définitivement réglé pour l’avenir au moyen de la clause d’éternité qui verrouille le système de limitation. Toutefois, en ce qui concerne le président en exercice, la question du décompte du nombre de mandats reste intacte. Il semble se trouver dans une situation transitoire, favorable à la possibilité d’un mandat supplémentaire ».

Cette thèse s’adosse, à l’en croire, sur deux principes fondamentaux de droit : la non-rétroactivité et l’indivisibilité de l’article 27. « En l’absence de dispositions transitoires précisant la rétroactivité de l’article 27, il est possible d’invoquer la non-rétroactivité de la loi. Le souci majeur de ce principe est de préserver les situations acquises antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. De surcroît, l’article 27 est caractérisé par son indivisibilité. Il comporte deux dispositions. La durée du mandat dont il est question dans l’article est de 5 ans, or, le président en exercice a fait un premier mandat de 7 ans ». Il en veut pour preuve l’avis émis par le conseil constitutionnel en 2016 qui avait fondé sa décision sur la non-rétroactivité de la loi et avait invoqué l’article 104 qui dispose : « le président de la république en fonction suit son mandat jusqu’à son terme ».

La révision de 2016 ne remet pas en cause le nombre de mandat

Ses confrères balaient en touche sa théorie, en apportant des arguments qui semblent fragiliser son argumentaire. Et c’est le Dr Yaya Niang qui est le premier à se lancer en battant en brèche la thèse de « l’association entre les deux dispositions de l’article 27 ». Soutenir cette thèse, selon lui, équivaudrait à dire qu’en d’autres termes, « ce qui est limité finalement ce sont deux mandats de même durée ».

« Je défends la thèse de la dissociation entre la durée et le nombre pour deux raisons. La première : qu’est-ce qu’un mandat ? Ni la constitution, ni le code électoral du Sénégal n’ont défini le mandat. Par contre, c’est le code des obligations civiles et commerciales qui a défini le mandat à son article 450 comme étant un contrat par lequel une personne qu’on appelle le mandant demande à une autre qu’on appelle le mandataire d’agir à son nom et pour son compte pour une durée », analyse-t-il.

Si on le ramène en matière constitutionnelle, on parle « d’habilitation à exercer le pouvoir au nom et pour le compte du peuple ». « Par conséquent, poursuit-il, le 30 mars 2012 le conseil constitutionnel a proclamé Macky Sall élu président de la République avec 65% des voix. Une première habilitation à exercer le pouvoir. Le 5 mars 2019, il a eu sa deuxième et dernière habilitation ».

La deuxième raison, argue-t-il, c’est « qu’interpréter ne signifie pas réécrire la constitution ». « Quand on dit que la durée est indissociable du nombre de mandats. Cela veut dire que si on a deux mandats qui ne sont pas de même durée, le premier ne compte pas. C’est ce que j’appelle réécrire la constitution. Depuis 2001 la limitation du mandat est permanente. Ce qui est variable c’est la durée. Peu importe la durée, un mandat reste un mandat », a martelé le praticien du droit.

Le président Sall lié par ses propres déclarations

Ce débat juridique a été tranché par le président Sall lui-même en dégonflant la bulle médiatique autour du mandat en 2018. C’est ce que pense, Pr Ababacar Guèye qui rappelle que le président avait, de son propre chef, anticipé sur la question en soulignant que s’il était réélu en 2019 il fera son second et dernier mandat. Des propos qui lient le président en tant qu’initiateur de la loi.

S’y ajoute qu’en dehors de l’éthique politique, la règle de droit écarte d’office toute candidature pour Macky Sall car d’abord, précise Pr Ababacar Guèye, « la constitution ne fait pas de distinction par rapport à la durée du mandat. Elle limite le nombre de mandat consécutif à deux en occultant la durée. Peu importe la durée, qu’il s’agit d’un mandat de 3, 5 ou 10 ans, le nombre de renouvellement c’est une seule fois ».  Ensuite, ajoute le constitutionnaliste, « la révision de 2016 n’a aucune incidence sur le nombre de mandats. Certes elle impacte la durée car elle l’a réduit (7 à 5 ans), en ne touchant pas la limitation à deux qui était déjà prévue par la mouture initiale de la constitution du 22 janvier 2001 ».

Un avis partagé aussi bien par le Pr Ababacar Guèye que l’avocat Me Doudou Ndoye qui estiment que les lois constitutionnelles sont d’application immédiate et que le président est bel et bien engagé par sa parole donnée.

Le référendum de 2016, un dol constitutionnel

Il s’agit donc plus d’une question d’éthique, une vertu qui ne semble plus être un viatique pour les hommes politiques sénégalais de nos jours. Un « wax waxete » de Macky Sall transformerait le référendum de 2016 à une vulgaire manœuvre dolosive, fulmine le professeur en droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dr Oumar Diop.

« Dans quel pays du monde a-t-on vu le chef de l’Etat s’engager dans une campagne référendaire et appeler les citoyens à voter oui et que l’objectif affirmé était de limiter les mandats présidentiels à deux, une fois le texte approuvé, il revient plusieurs années plus tard pour leur dire, ce n’est pas ce que j’avais voulu » ? S’interroge-t-il.

Son intime conviction est que : « la question du mandat n’est pas une question juridique mais de la question de respect des sénégalais dans ce qu’ils ont de plus sacré c’est-à-dire la parole donnée, la dignité et le sens de l’honneur. Ce débat traduit la perversion du droit constitutionnel qui change de signification en fonction des circonstances et de la volonté du chef de l’Etat ». Autant de tares qui semblent prendre leurs quartiers dans le pays, que la société sénégalaise gagnerait à régler définitivement. 

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